Parler d'orientation avec ses enfants

S. Chimot-Chaudieu –  Mai 2015

Aujourd’hui, nous demandons aux adolescents de choisir leur orientation, la voie, le métier qu’ils souhaitent faire. Auparavant, il n’y avait pas ce choix, on faisait comme ses parents. Ce choix est une grande liberté, une reconnaissance de l’individualité de chacun mais c’est aussi source d’angoisse. L’orientation est donc souvent au centre des échanges entre un adolescent et ses parents. Il n’est pas toujours facile d’en discuter et c’est souvent sources d’incompréhensions.

Vous trouverez ici quelques explications quant aux enjeux de l’orientation à l’adolescence et des pistes afin d’aborder au mieux cette question avec vos enfants.

Les enjeux de l’orientation

Dans notre société, le diplôme a encore un poids très important et l’erreur est peu acceptée. En même temps, le système scolaire porte encore atteinte à l’estime de soi d’un grand nombre d’élèves. Le choix des études et d’un métier est donc assez complexe à faire au vu de ce regard sociétal et du manque de confiance en eux ressenti par un grand nombre d’adolescents. L’actualité économique rend le choix encore plus complexe. Une grande pression pèse sur cette décision.

L’orientation, c’est la construction d’un projet de vie lié au passé, au présent et à l’avenir. Lorsque vous demandez à votre enfant « quel métier veux-tu faire plus tard ? », vous lui demandez en réalité qui il veut être plus tard. C’est la question de sa propre identité qui se pose à un adolescent. L’avenir questionne le passé. Il faut pour un adolescent se questionnant sur son avenir se poser la question de son passé. Or celui-ci n’est pas toujours accessible et parfois douloureux. De plus, la construction de ce projet nécessite une certaine capacité à se projetter dans l’avenir. C’est se confronter à l’inconnu de ce que l’on va devenir. Penser à l’avenir est donc difficile à l’adolescence. L’orientation demande aussi de mettre en perspective les rêves et la réalité. Ne pas briser les rêves mais prendre en considération la réalité n’est pas une chose simple. Il faut se souvenir que les rêves sont un moteur pour avancer.

« L’orientation, c’est la construction d’un projet de vie lié au passé, au présent et à l’avenir.​ »

L’orientation est un mouvement, un parcours intérieur. Ainsi, certains adolescents penseront pendant un certain temps à une voie puis changeront d’avis. Ces changements sont normaux. Tout d’abord parce que l’adolescent change lui aussi, il n’est pas le même à 13 ans et 17 ans. Ce mouvement est habité par diverses représentations, influences. Les représentations des parents sur les métiers, sur le travail, les influences des pairs. Et bien sûr, les propres représentations de l’adolescent. Ces dernières se construisent en fonction de leurs groupes d’appartenance et évoluent donc. Un adolescent de 13 ans s’identifiant encore fortement à un parent pourra exprimer l’envie de faire le même métier. Puis, quelques années plus tard, il pourra exprimer un autre choix car il ne s’identifiera plus totalement aux parents. D’autres identifications, représentations seront venues l’habiter et lui auront permis de construire sa propre identité. S’orienter, c’est devenir adulte et ne plus être uniquement fils ou fille de. Construire un projet de vie, faire des choix d’orientation, c’est aussi s’affirmer, se « recréer » soi-même. C’est exercer sa propre liberté.

Il faut abandonner l’idée d’une orientation idéale. Tout d’abord, rien n’est idéal. Une formation peut contenir des cours intéressants et d’autres moins, une fonction peut avoir des avantages et des inconvénients. L’orientation idéale n’existe pas car personne n’est destiné à un seul avenir. Il est possible de se tromper, que les représentations évoluent.

Quelques pistes pour les parents

Une des premières choses à savoir, c’est que les conseils ne sont jamais suivis s’ils ne font pas sens pour la personne. C’est valable pour tous les domaines de la vie, y compris pour les questions d’orientation.

Vous avez bien compris que l’orientation est un mouvement fait de changements. Cela ne signifie pas accepter tous les caprices d’un adolescent mais laisser la possibilité de se tromper, de faire des erreurs. Ces changements n’ont de sens que s’ils ont été pensés, si l’adolescent s’est investi dans des réflexions concernant son avenir. Bien des adolescents commencent une formation et finalement change de voie. Vous-même, avez-vous toujours suivi la même voie, toujours eu la même idée, toujours exercé le même métier ?

« Les conseils ne sont jamais suivis s’ils ne font pas sens pour la personne. »

Alors, comment aider son enfant dans ces réflexions ? Tout d’abord, plus vous vous montrez angoissés, plus votre enfant fera semblant de se désintéresser du sujet et s’angoissera en même temps. Montrez-vous disponible lorsqu’il viendra vous parler mais ne vous imposez pas. Ainsi, écoutez et échangez lorsqu’il viendra vous dire que la conseillère d’orientation psychologue est venue en classe ou que le professeur principal à donner un document, etc. Un adolescent qui dit « je ne sais pas » exprime aussi l’idée qu’il s’interroge. Cela montre qu’il a déjà des idées, qu’une réflexion est entamée. Si vos enfants vous expriment le sentiment d’être perdus, partir de ce qu’ils sont, de leurs ressources, de leurs intérêts, de leur histoire est un point de départ qui les inscrit dans leur réalité et diminue donc l’angoisse face à l’inconnu et à ce choix difficile.

Les adolescents sont sans arrêt questionnés sur le métier qu’ils veulent faire plus tard. Une certaine pression est parfois mise. Ainsi, j’ai pu entendre des adolescents paniqués car on leur avait dit qu’il « fallait » qu’ils trouvent une idée de métier, à 15 ans… Il est très difficile de répondre à cette question. Tout d’abord car personne ne connait tous les métiers. Commencer une réflexion par cette question est trop difficile. Mieux vaut demander à votre enfant s’il a une idée d’un domaine qui l’intéresserait. C’est plus vaste et permet ensuite de démarrer des recherches plus facilement. Ça donne un point de départ. Questionner sur le type de formation qui pourrait l’intéresser peut aussi être une piste si votre adolescent n’arrive pas du tout à se projeter dans l’avenir. Veut-il faire des études longues, avec des cours pratiques ou théoriques, très encadrés ou avec une certaine autonomie, etc. ?

Il est important de ne pas vous confondre avec votre adolescent. L’orientation d’un adolescent interroge aussi le parent sur ses propres représentations, sur son histoire. Il est bien d’y réfléchir un peu pour éviter trop de projections sur son enfant et des réactions trop fortes aux idées de vos enfants. Vous ne pouvez et ne devez pas désirer à la place de vos enfants, pour vos enfants. Il est important qu’il puisse devenir eux mêmes. Je repense ainsi à un adolescent m’expliquant qu’un de ses parents souhaitait qu’il devienne médecin et surtout ne fasse pas le même travail que lui. Or, il ne supportait pas la vue du sang. L’impossibilité de son parent à entendre son refus était source de souffrance pour cet adolescent. Votre enfant devient adulte, il est important de l’aider à faire ses propres choix, à prendre ses propres décisions, à s’affirmer et devenir plus autonome.

Il vous faut aussi aborder l’orientation sans préjugés concernant les filières et les métiers. En premier lieu, pour que votre enfant se sente libre d’aller vers la voie qui lui plaira sans crainte de votre interdit. Mais c’est aussi une façon de montrer l’exemple. L’orientation c’est s’intéresser à beaucoup de choses. Un adolescent ne pourra faire ces recherches s’il perçoit un interdit, une critique vis-à-vis de certaines formations. C’est s’informer sur diverses voies. Un choix ne peut se faire qu’en connaissant les options qui s’offrent. Je me souviens ainsi d’un jeune adulte se réorientant vers l’artisanat après avoir fait de longues études. Il m’expliquait que ce choix n’avait pas été possible plus jeune car il fallait qu’il fasse de longues études, c’était quasiment une obligation familiale. Cette personne avait pu se dégager de cette obligation familiale pour exprimer son propre désir mais ça n’avait pas été facile pour elle. Plus couramment, j’entends des parents dire « le mieux, c’est le bac S » ou bien « mon enfant ne fera pas le bac L car il ne mène à rien ». Ce sont des représentations qui empêchent une réelle orientation. Certains choix étant « interdits » ou « meilleurs », votre enfant peut-il réellement choisir ce qui lui conviendra le plus ?

« Il est important de ne pas vous confondre avec votre adolescent. L’orientation d’un adolescent interroge aussi le parent sur ses propres représentations, sur son histoire. »

Se pose parfois la question de faire des tests. Les résultats sont parfois attendus comme un miracle. « Les tests vont me dire ce que je dois faire » entend-on parfois. Les tests d’intérêts professionnels, les questionnaires ne sont pas magiques, ils ne vont pas révéler une orientation idéale. Les tests sont des aides pour les adolescents n’arrivant pas à se projeter, ceux pour qui une expression verbale de leurs désirs est difficile. Ils apportent des pistes de réflexions. Ils ne sont certainement pas une réponse définitive, imposée et qu’il faudra suivre à tout prix. Les tests ne sont pas des boules de cristal pouvant voir l’avenir. Ils sont le reflet d’envies à un moment donné de l’histoire de l’adolescent. Je vois trop d’adolescents me dire « j’ai fait des tests, ils disent qu’il faut que je sois … ». C’est en partie rassurant, l’adolescent n’est plus devant un grand écran blanc. Mais ça empêche aussi toute liberté, tout choix. Proposer à son adolescent de faire des tests, c’est lui présenter cela comme un début de réflexion s’il ne sait pas vers où aller, par quoi commencer. Ils pourront alors être d’une grande richesse.

Si le dialogue est très difficile avec votre adolescent, proposez qu’il rencontre un conseiller d’orientation psychologue peut être une solution. Ne pas lui imposer, lui dire que c’est une possibilité qui s’offre à lui.

Enfin, vous pouvez proposer d’accompagner votre enfant dans des salons, portes ouvertes d’établissements. Encore une fois, n’imposez pas. Dites par exemple que vous savez qu’il y a des portes ouvertes et que s’il a besoin vous pouvez l’accompagner.

L’essentiel est de pouvoir écouter sans imposer. En vous souvenant que la question de l’orientation ne touche pas uniquement le secteur scolaire et professionnel mais englobe finalement toute l’identité de votre enfant. Ce qui la rend hautement plus complexe.

« Il faut s’instruire et se sonder soi-même,

S’interroger, ne rien croire que soi,

Que son instinct, bien savoir ce qu’on aime,

Et, sans chercher des conseils superflus,

Prendre l’état qui vous plaira le plus. »

Voltaire